Circonvolutions lisboètes

Le Narrateur. Nina. Lisbonne.

Mois : août, 2013

II. Nina

Alfama #2

Fines et élégantes. Les ravissantes petites jambes de Nina filent dans les escadinhas, se raidissant à chaque nouvelle marche gravie. Les plis de sa robe sont emportés par l’élan de sa course. À chaque nouveau pas, la légère tenue glisse gracieusement sur ses cuisses dorées, mettant mon attention à l’épreuve et détournant mon regard des façades dépareillées au pied desquelles s’écoulent les minces et lumineuses ruelles d’Alfama. Une mobylette pétaradante s’élance dans un boucan étourdissant. Les draps, serviettes et pièces de tissus de toutes formes pendus aux fers forgés des balcons dansent dans la bise moite et les humeurs marines. Ragaillardis par la vision de la coupole du Panthéon émergeant de la mosaïque de pavés, de parois et de tuiles qui se dresse devant nous, nous nous engageons dans une nouvelle série d’escaliers. Un virage se dessine sur notre parcours. Rapidement arrivée à sa hauteur, Nina stoppe brutalement sa marche. Le dos légèrement voûté, elle balance son visage dans un grand sourire, comme pour défier ce que je ne peux encore voir, retardé par mes contemplations. L’ombre découpe sa frêle silhouette et ses traits semblent embrasés d’une blanche et froide lumière. Ses fines lèvres serrées par l’effort, son délicat petit nez et ses yeux délicieux. D’un mouvement tranquille, sans un mot, elle détourne son regard ravi vers moi. Je ne me trouve qu’à quelques mètres d’elle mais la caresse de son regard rompt mon élan. Il est empli de tendresse et de la satisfaction de pouvoir apercevoir, quelques dizaines de mètres plus haut, le but de notre ascension. Mon sourire cède le premier, répondant à la douce invitation en s’affichant timidement au coin de mes joues. Puis vient le tour de mes yeux, rendus soudain chauds et humides par le gêne de la confrontation provoquée par l’impudeur de son expression. Je m’arrête, une jambe lancée en avant, une main sur la cuisse, une autre machinalement glissée sur la hanche. Je la regarde, glorieuse, habillée de soleil, telle une icône sculptée à même la muraille ocre d’Alfama. Des cris d’enfants. Le claquement d’une porte. Le miaulement d’un chat. Nina.

I. Alfama

Alfama 4

Nourricières. Étroites et chaleureuses. La ville toute entière semble s’être extirpée de ses entrailles avant de se déverser dans la plaine. La langueur s’y écoule. Le soleil brûle les murs dorés mais décrépis sur lesquels rebondissent cris, pleurs et éclats de rires. Des escaliers. À n’en plus finir. Et ces pavés, d’un gris crasseux, anarchiques. Beaucoup ont été enlevés par tas, lardant les ruelles de grossières balafres. Le fracas d’une cloison que l’on abat inonde le sinueux beco dans lequel nous nous sommes engagés, tandis que surgissent deux garçons, dévalant la pente dans une course effrénée qu’ils accompagnent d’hurlements euphoriques. Les vénérables façades glissent sous nos yeux embués par la fatigue tandis que nous pressons le pas, impatients de mettre un terme à notre éprouvant effort. Une blessure dans le mur vient soudain interrompre notre souffreteuse chorégraphie. Poussée sur le côté, la lourde porte en bois nous offre un instant de vie. Deux ombres semblent procéder à un vif échange d’amabilités, figées dans la pénombre d’un long couloir au fond duquel se dessinent les éléments baroques d’une cour à l’abandon. La lumière crue qui paraît inonder le mystérieux patio nous invite à nous aventurer dans l’étroit et sombre passage. Mais la pudeur, tout autant que l’envie d’achever au plus vite notre ascension, nous pousse de nouveau en avant, fixant notre rêverie sur les deux silhouettes à peine aperçues dans l’ouverture…